Due giornalisti erano stati condannati in Francia per la pubblicazione nel 1996 di un libro intitolato “Les Oreilles du Président”, nel quale si raccontava di un sistema illegale di intercettazione orchestrato dagli alti vertici dell’Eliseo contro numerosi personaggi della società francese tra il 1983 e il 1986. Tale caso era stato oggetto dell’attenzione dei media allorquando negli anni ’90 venne pubblicata sulla stampa una lista di 2000 persone che erano state sottoposte a illecita sorveglianza. Nel 1993 venne poi aperto nei confronti di G.M., un collaboratore del Presidente Mitterrand, un procedimento penale. Con l’uscita del suddetto libro, costui denunciò in sede penale i suoi autori, accusandoli di aver utilizzato – addirittura allegandolo in appendice - materiale sottratto illegalmente dagli atti giudiziari (dichiarazioni rese al giudice istruttore e brogliacci di intercettazioni). Il Tribunale di Parigi decretò che il materiale utilizzato era in effetti documentazione agli atti del processo penale coperto dal segreto istruttorio e condannò i due giornalisti ad una pena pecuniaria.
Investita del caso, la Corte europea ha ritenuto sproporzionata la condanna. In particolare, la Corte ha ritenuto preminente l’interesse pubblico a conosce di quello che era stato un affare di stato, acquisendo certe informazioni – anche riguardanti il processo penale - sulle illegali intercettazioni subite da noti personaggi. La Corte, pur ritenendo legittima la protezione della segretezza delle indagini, ha rilevato che al momento dell’uscita del libro, era già noto che G.M. era stato inquisito e il governo francese non aveva dimostrato come la discovery delle informazioni riservate avesse arrecato a costui una lesione al suo diritto alla presunzione di innocenza, posto che la condanna era seguita 10 anni dopo.
Testo Completo: Sentenza della Corte Europea dei Diritti dell'Uomo di Strasburgo del 7 giugno 2007
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DUPUIS ET AUTRES c. FRANCE
(Requête n. 1914/02)
ARRÊT STRASBOURG 7 juin 2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dupuis et autres c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. ZUPANCIC, président,
C. BIRSAN,
J.-P. COSTA,
Mmes E. FURA-SANDSTRÖM,
A. GYULUMYAN,
M. DAVID THOR BJÖRGVINSSON,
Mme I. BERRO-LEFEVRE, juges,
et de M. S. NAISMITH, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 mai 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1914/02) dirigée contre la République française et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Jérôme Dupuis et Jean-Marie Pontaut, ainsi que la société de droit français Librairie Arthème Fayard (« les requérants »), ont saisi la Cour le 17 décembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me C. Waquet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le 26 août 2005, la requête a été communiquée au Gouvernement. Compte tenu des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, il a également été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Par un décret du 17 mars 1982, une « Mission de coordination, d'information et d'action contre le terrorisme » fut créée. Cette « cellule anti-terroriste » de l'Elysée fut mise en place de 1983 à mars 1986 à la présidence de la République française et se livra à des écoutes téléphoniques ainsi qu'à des enregistrements.
5. En novembre 1992, un hebdomadaire publia une note manuscrite datée du 28 mars 1983 et portant l'en-tête de la présidence de la République dont certains signes révélaient que des écoutes téléphoniques avaient été notamment organisées sur les lignes de certains journalistes et avocats.
La même année, des journaux publièrent la liste des personnes qui avaient été écoutées.
6. L'affaire fut fortement médiatisée et une information fut ouverte en février 1993.
Dans le cadre de cette procédure, G.M., directeur adjoint du cabinet du président de la République à l'époque des écoutes, fut mis en examen du chef d'atteinte à la vie privée d'autrui.
7. Le 25 janvier 1996, quelques jours après le décès du président Mitterrand, les éditions Arthème Fayard publièrent l'ouvrage rédigé par les requérants, tous deux journalistes, intitulé Les oreilles du Président, qui décrivait le fonctionnement des écoutes au sein de l'Elysée.
8. Le 1er février 1996, G.M. déposa plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de MM. Pontaut et Dupuis des chefs de recel de documents provenant d'une violation du secret professionnel, recel de violation du secret professionnel et recel de vol. Dans le cadre de sa plainte, G.M. releva que l'annexe 1 du livre était constituée par six « fac-similés d'écoutes » identiques aux documents figurant en procédure et que les trois autres annexes (liste de personnes écoutées) puisaient également leur substance dans celle-ci. Il cita également trente-six passages de l'ouvrage qui reproduisaient les déclarations faites devant le magistrat instructeur par les personnes mises en examen ou les témoins et consignées par procès verbal.
9. Dans le cadre de la procédure d'instruction, les requérants contestèrent avoir obtenu leurs informations de manière illégale. Ils refusèrent de révéler leurs sources et firent valoir que nombre des personnes entendues par le juge avaient ensuite révélé publiquement la teneur de leurs déclarations. S'agissant des fac-similés d'écoutes et du contenu des procès verbaux, les requérants soutinrent que ceux-ci avaient circulé auprès des journalistes bien avant l'ouverture de l'instruction.
10. Par un jugement du 10 septembre 1998, le tribunal de grande instance de Paris jugea que tant les fac-similés que les extraits de procès verbaux trouvaient leur origine dans le dossier d'instruction auquel ne pouvait avoir accès que des personnes tenues au secret de l'instruction ou au secret professionnel. Le tribunal jugea que, quel que soit le cheminement des pièces litigieuses, celles-ci ne pouvaient être parvenues dans les mains des requérants qu'à l'aide d'une infraction. Selon le tribunal, cette situation ne pouvait être ignorée par des journalistes expérimentés. Constatant que le délit de recel était caractérisé en tous ses éléments, le tribunal déclara MM. Pontaut et Dupuis coupables du délit de recel de violation du secret de l'instruction ou du secret professionnel sur le fondement des articles 226-13, 226-31, 321-1 et 321-9 à 321-12 du code pénal et les condamna chacun à une peine de 5 000 francs français (FRF) d'amende (soit 762,25 euros (EUR)). En outre, ledit tribunal les condamna solidairement à payer 50 000 FRF (soit 7 622,50 EUR) de dommages-intérêts et déclara la Librairie Arthème Fayard civilement responsable. L'ouvrage des requérants continua à être publié et aucun exemplaire ne fut saisi.
11. Les requérants interjetèrent appel. Invoquant notamment la violation des articles 6 § 2 et 10 de la Convention, ils contestèrent la nécessité de leur condamnation au regard de la Convention.
12. Par un arrêt du 16 juin 1999, la cour d'appel de Paris confirma la condamnation notamment par les motifs suivants :
« (...) Par leur nombre, leur diversité et leur précision les sources utilisées par les prévenus démontrent qu'ils ont été en possession matérielle de reproductions des pièces d'instruction, de simples transcriptions ou de comptes rendus oraux étant insusceptibles de permettre le caractère systématique de l'exploitation qu'ils ont faite du contenu du dossier (...) Dès lors les prévenus n'ont pu obtenir les documents que par la voie de personnes associées à la procédure lesquelles se divisent en deux groupes. Le premier est lié par le secret de l'instruction (magistrat, greffier, policier ...) dont la violation constitue un délit. Le second est constitué par les personnes qui peuvent obtenir des copies de pièces mais qui ne sont pas tenues par le secret de l'instruction. Il s'agit des avocats et des parties elles-mêmes. (...) Il résulte de ces dispositions claires et cohérentes que le respect de certaines modalités du secret de l'instruction est une composante du respect du secret professionnel. Sans aucun doute ce dernier ne doit pas faire préjudice aux droits de la défense. (...) Ainsi la provenance des documents utilisés par les prévenus était nécessairement délictuelle, la qualification exacte du délit étant sans effet sur la nature illicite de l'origine qui est le fondement nécessaire et suffisant de l'élément légal du recel, ce que confirme la jurisprudence de la Cour de cassation. (...) »
13. S'agissant de l'article 10 de la Convention, la cour d'appel jugea que :
« Même si le contenu matériel du recel présente le caractère particulier d'être constitué par des actes d'instruction il convient tout d'abord de faire observer que le délit de recel prévu à l'article 321-1 du code de procédure pénale est une incrimination d'usage courant. (...) Ainsi même si les poursuites ayant la configuration actuelle peuvent être peu nombreuses elles sont fondées sur des textes clairs et connus et il n'y a pas d'aléa dans leurs conditions d'application.
Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 10 précité l'exercice de la liberté d'expression peut être soumis à des restrictions notamment pour protéger la réputation et les droits d'autrui et pour garantir 'l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire'.
Il est constant qu'en se procurant une quantité de pièces couvertes par le secret dans une procédure où [G.M.] était mis en examen les prévenus portaient atteinte à sa vie personnelle et à ses droits de la défense comme personne mise en examen. Cette démarche établissait en même temps la méconnaissance volontaire des règles de fonctionnement de l'institution judiciaire. De surcroît la publication qui était l'objectif reconnu par MM. Pontaut et Dupuis, ne pouvait que mettre en cause la présomption d'innocence dont doit bénéficier toute personne poursuivie.
(...) Obliger au respect des règles fondamentales du fonctionnement des juridictions et des pratiques des auxiliaires de justice concourt au maintien des caractères démocratiques de la société. A ce titre, les règles sur le respect du secret de l'instruction comme celui du secret professionnel permettent de protéger cette instance de trop fortes pressions comme elles protègent également des intérêts essentiels des protagonistes de la procédure.
Dès lors, les limites auxquelles est soumise la liberté d'expression sont nécessaires d'autant d'une part qu'il n'est pas établi que les contraintes exercées en la cause aient nui de réelle façon à l'information de l'opinion compte tenu des articles parus sur le sujet. Et d'autre part qu'il n'est pas plus établi que la justice se soit trouvée dans une impossibilité de fonctionner dont il aurait fallu informer cette opinion. »
14. Les requérants se pourvurent en cassation.
15. Par un arrêt du 19 juin 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
16. La Cour de cassation rejeta le moyen par lequel les requérants alléguaient notamment la violation de l'article 6 § 2 de la Convention comme suit :
« Attendu que, pour retenir la culpabilité des prévenus qui contestaient avoir obtenu les informations de façon illégale, mais refusaient de révéler leurs sources, la cour d'appel relève que l'ouvrage comporte des fac-similés d'écoutes téléphoniques qui sont la reproduction exacte de fiches consignées dans la procédure suivie par le juge d'instruction, ainsi que des extraits de procès-verbaux de déclarations dressés par ce magistrat ; que les juges ajoutent qu'en l'absence de tout élément permettant d'accréditer l'hypothèse d'une divulgation accidentelle, son auteur ne peut être qu'un professionnel, tenu au secret, qu'il s'agisse d'une personne soumise au secret de l'instruction, ou d'un avocat tenu au secret professionnel en vertu de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ; qu'ils en déduisent que, quel que soit le cheminement des pièces litigieuses, celles-ci n'ont pu parvenir entre les mains des prévenus qu'à l'aide d'une infraction ; qu'ils relèvent que cette situation ne pouvait être ignorée de journalistes expérimentés ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, déduits d'une appréciation souveraine des circonstances de la cause, la cour d'appel, qui a caractérisé la détention et la publication, en connaissance de cause, par les prévenus, de photocopies de pièces issues d'une instruction en cours, a justifié sa décision ; (...) »
17. La Cour rejeta également le moyen par lequel les requérants invoquaient la violation de l'article 10 de la Convention, faisant valoir que le seul fait que les écoutes téléphoniques décrites dans le livre faisaient l'objet d'une information judiciaire n'était pas suffisant pour justifier l'atteinte portée à leur liberté d'expression et que leur condamnation ne répondait à aucune nécessité pour les motifs suivants :
« Attendu que, pour rejeter le grief pris d'une violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, relève que la matière essentielle de l'ouvrage litigieux est constituée par le contenu même du dossier de l'information en cours, que le livre reproduit en particulier de nombreux passages d'auditions de personnes entendues par le juge d'instruction, et que ces éléments ont nourri de façon détaillée l'exposé des auteurs sur le fonctionnement du système d'écoutes mis en place à la Présidence de la République ; que les juges précisent que les prévenus se sont trouvés en possession d'informations confidentielles sur [G.M.] auxquelles ils n'avaient aucun droit d'accès, ce qui heurtait un intérêt légitime de celui-ci ; qu'ils ajoutent que les limites auxquelles est soumise la liberté d'expression sont nécessaires d'autant qu'il n'est pas établi que les contraintes exercées en la cause aient nui de réelle façon à l'information de l'opinion et que la justice se soit trouvée dans une impossibilité de fonctionner dont il aurait fallu informer cette opinion ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations dont il résulte que les prévenus ont été poursuivis pour avoir divulgué le contenu demeuré confidentiel de pièces issues d'une information en cours, mesure justifiée par les impératifs de protection des droits d'autrui, au nombre desquels figure la présomption d'innocence, par la préservation d'informations confidentielles, ainsi que par la garantie de l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
(...)
Attendu qu'en allouant des dommages-intérêts à la partie civile, au motif que la publication, par les prévenus, d'informations confidentielles la concernant, a directement concouru au dommage qu'elle a subi, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 2 du code de procédure pénale. »
18. Par un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 9 novembre 2005, G.M fut condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 EUR d'amende.
II. DROIT INTERNE PERTINENT
19. Les dispositions pertinentes du code pénal sont les suivantes :
Article 226-13
« La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
Article 321-1
« Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit.
Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit. Le recel est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. »
20. La Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres, sur la diffusion d'informations par les médias en relation avec les procédures pénales, se lit ainsi :
« (...)
Rappelant que les médias ont le droit d'informer le public eu égard au droit de ce dernier à recevoir des informations, y compris des informations sur des questions d'intérêt public, en application de l'article 10 de la Convention, et qu'ils ont le devoir professionnel de le faire ;
Rappelant que les droits à la présomption d'innocence, à un procès équitable et au respect de la vie privée et familiale, garantis par les articles 6 et 8 de la Convention, constituent des exigences fondamentales qui doivent être respectées dans toute société démocratique ;
Soulignant l'importance des reportages réalisés par les médias sur les procédures pénales pour informer le public, rendre visible la fonction dissuasive du droit pénal et permettre au public d'exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système judiciaire pénal ;
Considérant les intérêts éventuellement conflictuels protégés par les articles 6, 8 et 10 de la Convention et la nécessité d'assurer un équilibre entre ces droits au regard des circonstances de chaque cas individuel, en tenant dûment compte du rôle de contrôle de la Cour européenne des Droits de l'Homme pour garantir le respect des engagements contractés au titre de la Convention ;
(...)
Désireux de promouvoir un débat éclairé sur la protection des droits et intérêts en jeu dans le cadre des reportages effectués par les médias sur les procédures pénales, ainsi que de favoriser de bonnes pratiques à travers l'Europe, tout en assurant l'accès des médias aux procédures pénales ;
(...)
Recommande, tout en reconnaissant la diversité des systèmes juridiques nationaux en ce qui concerne les procédures pénales, aux gouvernements des Etats membres :
1. de prendre ou de renforcer, le cas échéant, toutes mesures qu'ils considèrent nécessaires en vue de la mise en œuvre des principes annexés à la présente recommandation, dans les limites de leurs dispositions constitutionnelles respectives,
2. de diffuser largement cette recommandation et les principes qui y sont annexés, en les accompagnant le cas échéant d'une traduction, et
3. de les porter notamment à l'attention des autorités judiciaires et des services de police, et de les mettre à la disposition des organisations représentatives des juristes praticiens et des professionnels des médias.
Annexe à la Recommandation Rec(2003)13 - Principes concernant la diffusion d'informations par les médias en relation avec les procédures pénales
Principe 1 - Information du public par les médias
Le public doit pouvoir recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias. Les journalistes doivent en conséquence pouvoir librement rendre compte de et effectuer des commentaires sur le fonctionnement du système judiciaire pénal, sous réserve des seules limitations prévues en application des principes qui suivent.
Principe 2 - Présomption d'innocence
Le respect du principe de la présomption d'innocence fait partie intégrante du droit à un procès équitable.
En conséquence, des opinions et des informations concernant les procédures pénales en cours ne devraient être communiquées ou diffusées à travers les médias que si cela ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence du suspect ou de l'accusé.
(...)
Principe 6 - Information régulière pendant les procédures pénales
Dans le cadre des procédures pénales d'intérêt public ou d'autres procédures pénales attirant particulièrement l'attention du public, les autorités judiciaires et les services de police devraient informer les médias de leurs actes essentiels, sous réserve que cela ne porte pas atteinte au secret de l'instruction et aux enquêtes de police et que cela ne retarde pas ou ne gêne pas les résultats des procédures. Dans le cas des procédures pénales qui se poursuivent pendant une longue période, l'information devrait être fournie régulièrement.
(...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
21. Les requérants se plaignent de ce que leur condamnation ne reflète pas un besoin social impérieux et viole par conséquent leur droit à la liberté d'expression. Ils en veulent pour preuve que ce n'est pas le ministère public qui se trouve à l'origine de la plainte. Les requérants font en outre valoir que le livre litigieux ne remettait nullement en cause la présomption d'innocence de G.M., dont nul n'ignorait qu'il avait été mis en examen. Ils invoquent à cet égard leur droit de diffuser des informations dans le cadre d'une affaire d'Etat et font valoir que le débat public portait sur l'exercice du pouvoir, ses dérives et son contrôle, et existait déjà avant la publication du livre, lequel n'avait pas pour but de freiner l'enquête. Les requérants invoquent l'article 10 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, (...) ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
22. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
23. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Les requérants
24. Les requérants font notamment valoir que l'ingérence n'était nullement nécessaire. Selon eux, comme tout secret, le secret de l'instruction ne vise que les participants à l'instruction, mais nullement les parties. La révélation n'est pas interdite et aucun fait n'a de vocation particulière à n'être connu de personne.
25. Par ailleurs, ils estiment ne pas avoir porté atteinte à la protection des droits d'autrui. Même si l'affaire n'était pas encore jugée lorsque l'ouvrage est paru, l'information était ouverte depuis trois ans et il fallut encore attendre dix ans pour que l'affaire soit jugée par le tribunal correctionnel de Paris. Dans un tel contexte, la parution d'un livre pour exprimer une nouvelle fois ce qui constituait une affaire d'Etat, alors que la justice était particulièrement lente, ne portait atteinte à aucun principe fondamental et surtout pas au secret de l'instruction. Lorsque l'instruction connaît une si longue durée et que les témoignages, preuves et éléments ont eu le temps de disparaître, il est au contraire salutaire et conforme à l'intérêt de la démocratie que des journalistes d'investigation dévoilent ce que leur enquête a permis de découvrir. En l'espèce, il ne s'agissait plus de protéger des preuves, mais au contraire d'éviter qu'elles ne disparaissent en révélant sur la place publique ce que la justice avait des difficultés à mettre à jour.
26. A cet égard, l'intérêt de G.M. devait s'effacer devant l'intérêt général et il ne saurait être soutenu qu'il aurait été porté atteinte à son droit à la présomption d'innocence de manière telle que les juges correctionnels n'auraient pu bénéficier, dix ans plus tard, de leur entière liberté d'appréciation s'agissant de sa culpabilité.
b) Le Gouvernement
27. Le Gouvernement ne conteste pas que la condamnation des requérants pour délit de recel du secret de l'instruction ou du secret professionnel constitue une ingérence dans leur droit à la liberté d'expression. Selon lui, l'ingérence était prévue par la loi, à savoir par les articles 226-13 et 321-1 du code pénal, qui remplissent les conditions d'accessibilité et de prévisibilité exigées par la Cour (Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, CEDH 1999-I). Il estime cependant que l'ingérence constituait une mesure nécessaire dans une société démocratique à la protection de la réputation des droits d'autrui et pour garantir l'autorité et l'impartialité de l'autorité judiciaire. Sans contester le fait que l'ouvrage des requérants avait pour objet d'informer le public sur une affaire d'Etat qui intéressait l'opinion publique, il considère qu'il a porté atteinte à la présomption d'innocence de G.M. La publication quelques jours après la mort de François Mitterrand lui a donné un certain impact commercial et médiatique, renforçant le préjudice subi par G.M. L'affaire était par ailleurs très sensible et l'ouvrage reproduisait très exactement plusieurs pièces versées au dossier.
28. Selon le Gouvernement l'ingérence était par ailleurs proportionnée au but poursuivi. L'interdiction de produire des documents émanant d'un dossier d'instruction est limitée à la période de l'instruction proprement dite, ne couvre que les actes de recel et de divulgation des pièces mêmes du dossier et n'interdit donc aucunement aux journalistes de communiquer des informations sur une affaire en cours d'instruction ou de se livrer à leurs propres investigations, interroger des parties à la procédure, les témoins, les avocats ou encore commenter de manière critique l'activité judiciaire.
29. Le Gouvernement considère enfin que le cas d'espèce doit être distingué de l'affaire Fressoz et Roire précitée. Le secret de l'instruction et le respect de la présomption d'innocence qui protègent des intérêts collectifs et publics ne sauraient être mis sur le même pied que le secret fiscal, qui protège des intérêts purement privés. Par ailleurs, les juridictions françaises ont suffisamment motivé leurs décisions après un examen précis. Le droit à l'information du public sur l'affaire des écoutes de l'Elysée n'a pas été entravé, la publication de l'ouvrage s'est poursuivie et ses exemplaires n'ont pas été saisis alors que l'information du public était largement assurée, par ailleurs, par les médias. En outre, les requérants ont été condamnés à une « peine de principe », fort éloignée du maximum encouru.
2. Appréciation de la Cour
30. La Cour relève que les requérants ont été condamnés au paiement d'une amende et de dommages-intérêts, en raison de l'utilisation et de la reproduction d'éléments du dossier d'instruction dans leur livre. Il n'est pas contesté que les requérants ont subi une « ingérence » dans l'exercice de leur droit à la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention. Pareille immixtion enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l'article 10. Il y a donc lieu de déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard dudit paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique ».
a) « Prévue par la loi »
31. La Cour relève que les infractions pour lesquelles les requérants ont été poursuivis trouvaient, à l'instar des sanctions prononcées, leur fondement dans le code pénal. Par ailleurs, les requérants ne mettent pas en cause le caractère prévisible et accessible des dispositions légales applicables. L'ingérence était donc prévue par la loi.
b) But légitime
32. La Cour relève que les juridictions internes ont fondé leurs décisions sur la violation du secret professionnel ou de l'instruction. L'ingérence avait donc notamment pour but de garantir le respect du droit d'une personne qui, n'ayant pas encore été jugée, était présumée innocente. Elle avait aussi pour but une bonne administration de la justice en évitant toute influence extérieure sur le cours de celle-ci. Ces buts correspondent à la protection de « la réputation et des droits d'autrui » et à la garantie de « l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire », dans la mesure où cette dernière garantie a été interprétée comme englobant les droits dont les individus jouissent à titre de plaideurs en général (Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 98, 15 juillet 2003).
Partant, la Cour considère que les motifs invoqués par les juridictions internes se concilient avec le but légitime de protéger le droit de G.M. à un procès équitable dans le respect de la présomption d'innocence.
c) « Nécessaire dans une société démocratique »
i. Rappel des principes généraux
33. La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent donc une importance particulière (voir, entre autres, les arrêts Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A no 298, p. 26, § 37 ; Worm c. Autriche du 29 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-V, pp. 1550-1551, § 47 ; Fressoz et Roire, précitée, § 45)
34. La presse joue un rôle éminent dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d'autrui ainsi qu'à la nécessité d'empêcher la divulgation d'informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général (De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234, § 37 ; Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 62, CEDH 1999 III ; Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 43-45, CEDH 2001 III ; Tourancheau et July c. France, no 53886/00, § 65, 24 novembre 2005).
35. En particulier, on ne saurait penser que les questions dont connaissent les tribunaux ne puissent, auparavant ou en même temps, donner lieu à discussion ailleurs, que ce soit dans des revues spécialisées, la grande presse ou le public en général. A la fonction des médias consistant à communiquer de telles informations et idées s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir. Toutefois, il convient de tenir compte du droit de chacun de bénéficier d'un procès équitable tel que garanti à l'article 6 § 1 de la Convention, ce qui, en matière pénale, comprend le droit à un tribunal impartial (Tourancheau et July, précité, § 66). Comme la Cour l'a déjà souligné, « les journalistes doivent s'en souvenir qui rédigent des articles sur des procédures pénales en cours, car les limites du commentaire admissible peuvent ne pas englober des déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d'une personne de bénéficier d'un procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l'administration de la justice pénale » (ibidem ; Worm, précité, § 50).
36. D'une manière générale, la « nécessité » d'une quelconque restriction à l'exercice de la liberté d'expression doit se trouver établie de manière convaincante. Certes, il revient en premier lieu aux autorités nationales d'évaluer s'il existe un « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction, exercice pour lequel elles bénéficient d'une certaine marge d'appréciation. Lorsqu'il y va de la presse, comme en l'espèce, le pouvoir d'appréciation national se heurte à l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. De même, il convient d'accorder un grand poids à cet intérêt lorsqu'il s'agit de déterminer, comme l'exige le paragraphe 2 de l'article 10, si la restriction était proportionnée au but légitime poursuivi (voir, mutatis mutandis, Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil 1996-II, pp. 500 501, § 40 ; Worm, précité, § 47 ; Bladet Tromsø et Stensaas, précité, § 59).
37. La Cour n'a point pour tâche, lorsqu'elle exerce ce contrôle, de se substituer aux juridictions nationales, mais de vérifier sous l'angle de l'article 10 les décisions qu'elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d'appréciation. Pour cela, la Cour doit considérer l'« ingérence » litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire pour déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, notamment, les arrêts Goodwin, ibidem, et Du Roy et Malaurie c. France, no 34000/96, § 27, CEDH 2000 X). Aux fins de l'exercice de mise en balance des intérêts concurrents auquel la Cour doit se livrer, il lui faut aussi tenir compte du droit que l'article 6 § 2 de la Convention reconnaît aux individus d'être présumés innocents jusqu'à ce que leur culpabilité ait été légalement établie (Du Roy et Malaurie, précité, § 34 ; Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 78, CEDH 2004).
38. Il revient donc à la Cour de déterminer si l'ingérence litigieuse correspondait à un « besoin social impérieux », si elle était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ».
ii. Application au cas d'espèce
39. La Cour observe d'emblée que le thème de l'ouvrage concernait un débat qui était d'un intérêt public considérable. Il apportait une contribution à ce qu'il convient d'appeler, avec le Gouvernement, une affaire d'Etat, qui intéressait l'opinion publique, et il donnait certaines informations et réflexions s'agissant des personnalités qui avaient fait l'objet d'écoutes téléphoniques illégales, des conditions dans lesquelles ces dernières avaient été réalisées, et de qui étaient les donneurs d'ordre. Force est d'ailleurs de constater que la liste des « deux mille personnes écoutées » comprenait des noms de nombreuses personnalités pour le moins médiatiques ou médiatisées.
40. La Cour rappelle que l'article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou des questions d'intérêt général (Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 61, CEDH 1999-IV). En outre, les limites de la critique admissible sont plus larges à l'égard d'un homme politique, visé en cette qualité, que d'un simple particulier : à la différence du second, le premier s'expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, p. 26, § 42 ; Incal c. Turquie, 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1567, § 54 ; Feldek c. Slovaquie, no 29032/95, § 74, CEDH 2001-VIII ; Brasilier c. France, no 71343/01, § 41, 11 avril 2006). Il est fondamental, dans une société démocratique, de défendre le libre jeu du débat politique. La Cour accorde la plus haute importance à la liberté d'expression dans le contexte du débat politique et considère qu'on ne saurait restreindre le discours politique sans raisons impérieuses. Y permettre de larges restrictions dans tel ou tel cas affecterait sans nul doute le respect de la liberté d'expression en général dans l'Etat concerné (Feldek, précité, § 83). En l'espèce, les propos litigieux visaient G.M., l'un des principaux collaborateurs du président de la République, François Mitterrand. Or G.M., qui est à l'origine de la poursuite des requérants et de leur condamnation, s'il ne pouvait être qualifié d'homme politique stricto sensu, présentait néanmoins toutes les caractéristiques d'un homme public influent, évidemment impliqué dans la vie politique et ce, au plus haut niveau de l'exécutif.
41. A la fonction de la presse qui consiste à diffuser des informations et des idées sur des questions d'intérêt public, s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir (voir, parmi d'autres, Observer et Guardian c. Royaume-Uni, arrêt du 26 novembre 1991, série A no 216, p. 30, § 59 ; Jersild, précité, p. 23, § 31 ; De Haes et Gijsels, précité, p. 234, § 39). Il en allait tout particulièrement ainsi en l'espèce, s'agissant d'un système illégal d'écoutes et d'archivages visant de nombreuses personnalités de la société civile, organisé au sommet de l'Etat. La découverte de ces faits suscita une émotion et un écho particulièrement significatifs dans l'opinion publique. L'ouvrage litigieux, à l'instar des chroniques judiciaires, répond à une demande concrète et soutenue du public de plus en plus intéressé de nos jours à connaître les rouages de la justice au quotidien. Le public avait dès lors un intérêt légitime à être informé et à s'informer sur ce procès et, notamment, sur les faits relatés par l'ouvrage litigieux.
42. Cette importance du rôle des médias dans le domaine de la justice pénale est au demeurant très largement reconnue. En particulier, la Cour a déjà jugé qu'« à condition de ne pas franchir les bornes fixées aux fins d'une bonne administration de la justice, les comptes rendus de procédures judiciaires, y compris les commentaires, contribuent à les faire connaître et sont donc parfaitement compatibles avec l'exigence de publicité de l'audience énoncée à l'article 6 § 1 de la Convention. A la fonction des médias consistant à communiquer de telles informations et idées s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir » (Worm, précité, § 50). Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a quant à lui adopté la Recommandation Rec(2003)13 sur la diffusion d'informations par les médias en relation avec les procédures pénales ; celle-ci rappelle à juste titre que les médias ont le droit d'informer le public eu égard au droit de ces derniers à recevoir des informations et souligne l'importance des reportages réalisés sur les procédures pénales pour informer le public et permettre à celui-ci d'exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système de justice pénale. En annexe à cette Recommandation figure d'ailleurs notamment le droit du public à recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias, ce qui implique pour les journalistes le droit de pouvoir librement rendre compte du fonctionnement du système de justice pénale.
43. Certes, quiconque, y compris des journalistes, exerce sa liberté d'expression assume des « devoirs et responsabilités » dont l'étendue dépend de sa situation et du procédé technique utilisé (voir, mutatis mutandis, Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49 in fine). En l'occurrence, les juges internes ont considéré, compte tenu de la nature des documents reproduits dans l'ouvrage ou ayant servi de support à certains passages du livre, que les auteurs, journalistes expérimentés, ne pouvaient ignorer que lesdits documents provenaient du dossier d'instruction et étaient couverts, selon les personnes à l'origine de la remise des documents, par le secret de l'instruction ou par le secret professionnel. Tout en reconnaissant le rôle essentiel qui revient à la presse dans une société démocratique, la Cour souligne que les journalistes ne sauraient en principe être déliés par la protection que leur offre l'article 10 de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun. Le paragraphe 2 de l'article 10 pose d'ailleurs les limites de l'exercice de la liberté d'expression. Il échet de déterminer si, dans les circonstances particulières de l'affaire, l'intérêt d'informer le public l'emportait sur les « devoirs et responsabilités » pesant sur les requérants en raison de l'origine douteuse des documents qui leur avaient été adressés.
44. La Cour doit plus particulièrement déterminer si l'objectif de préservation du secret de l'instruction offrait une justification pertinente et suffisante à l'ingérence. Il est légitime de vouloir accorder une protection particulière au secret de l'instruction compte tenu de l'enjeu d'une procédure pénale, tant pour l'administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d'innocence des personnes mises en examen. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, la Cour considère qu'au moment de la publication de l'ouvrage litigieux, en janvier 1996, outre la très large médiatisation de l'affaire dite des « écoutes de l'Elysée », il était déjà de notoriété publique que G.M. était mis en examen dans cette affaire, dans le cadre d'une instruction ouverte depuis près de trois ans, qui aboutira finalement le 9 novembre 2005, soit neuf ans et plus de neuf mois après la publication de l'ouvrage, à sa condamnation à une peine d'emprisonnement avec sursis. En outre, le Gouvernement n'établit pas en quoi, dans les circonstances de l'espèce, la divulgation d'informations confidentielles aurait pu avoir une influence négative tant sur le droit à la présomption d'innocence de G.M. que sur son jugement et sa condamnation presque de dix ans après la publication. D'ailleurs, postérieurement à la parution du livre litigieux et durant la phase d'instruction, G.M. s'est régulièrement exprimé sur l'affaire au travers de nombreux articles de presse. Dès lors, la protection des informations en tant qu'elles étaient confidentielles ne constituait pas un impératif prépondérant.
45. A cet égard, il faut relever que si la condamnation des requérants pour recel reposait sur la reproduction et l'utilisation dans leur ouvrage des documents contenus au dossier d'instruction et dès lors considérés comme communiqués en violation du secret de l'instruction ou professionnel, elle touchait inévitablement la révélation d'informations. On peut toutefois se demander si subsistait encore l'intérêt de garder secrètes des informations dont le contenu avait déjà, au moins en partie, été rendu public (Weber c. Suisse, arrêt du 22 mai 1990, série A no 177, p. 23, § 51 ; Vereniging Weekblad Bluf ! c. Pays-Bas, arrêt du 9 février 1995, série A no 306-A, p. 15, § 41) et était susceptible d'être connu par un grand nombre de personnes (Fressoz et Roire, précité, § 53), eu égard à la couverture médiatique de l'affaire, tant en raison des faits que de la personnalité de nombreuses victimes desdites écoutes.
46. La Cour estime au demeurant qu'il convient d'apprécier avec la plus grande prudence, dans une société démocratique, la nécessité de punir pour recel de violation de secret de l'instruction ou de secret professionnel des journalistes qui participent à un débat public d'une telle importance, exerçant ainsi leur mission de « chiens de garde » de la démocratie. L'article 10 protège le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d'intérêt général dès lors qu'ils s'expriment de bonne foi, sur la base de faits exacts et fournissent des informations « fiables et précises » dans le respect de l'éthique journalistique (Goodwin, précité, § 39 ; Fressoz et Roire, précité, § 54 ; Colombani et autres c. France, arrêt du 25 juin 2002, § 65, CEDH 2002-V). Or, en l'espèce, il ressort des allégations non contestées des requérants que ceux-ci ont agi dans le respect des règles de la profession journalistique, dans la mesure où les publications litigieuses servaient ainsi non seulement l'objet mais aussi la crédibilité des informations communiquées, attestant de leur exactitude et de leur authenticité (Fressoz et Roire, précité, § 55).
47. De plus, pour ce qui est des peines prononcées, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité de l'ingérence (Sürek no 1, précité, § 64 ; Paturel c. France, no 54968/00, § 47, 22 décembre 2005 ; Brasilier, précité, § 43).
48. Elle relève tout d'abord que les deux auteurs ont été condamnés à payer une amende de 762,25 EUR chacun, outre leur condamnation solidaire à payer 7 622,50 EUR de dommages-intérêts à G.M. En outre, la troisième requérante fut déclarée civilement responsable. Toutefois, la destruction ou la saisie de l'ouvrage n'a pas été ordonnée et sa publication n'a pas été interdite (Paturel, précité, § 48). Cela étant, le montant de l'amende, bien que, certes, relativement modérée, et les dommages-intérêts qui sont venus s'y ajouter, ne paraissaient pas justifiés au regard des circonstances de la cause (Brasilier, précité, § 3 ; Paturel, précité, § 49). La Cour a d'ailleurs maintes fois souligné qu'une atteinte à la liberté d'expression peut risquer d'avoir un effet dissuasif quant à l'exercice de cette liberté (voir, mutatis mutandis, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie, arrêt du 17 décembre 2004 [GC], no 33348/96, § 114, CEDH 2004 XI), que le caractère relativement modéré des amendes ne saurait suffire à faire disparaître.
49. En conclusion, la Cour estime que la condamnation des requérants s'analyse en une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d'expression des intéressés et qu'elle n'était donc pas nécessaire dans une société démocratique.
Partant, il y a eu violation de l'article 10 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION
50. Invoquant, en outre, l'article 6 § 2 de la Convention, les requérants soutiennent également que les juridictions nationales ont méconnu le principe de la présomption d'innocence dans la mesure où aucune preuve n'a selon eux été rapportée de ce que les documents qu'ils détenaient avaient une origine frauduleuse. L'article 6 § 2 est libellé comme suit :
« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
51. Compte tenu de la conclusion de violation à laquelle elle est parvenue au titre de l'article 10 de la Convention, la Cour estime que le grief tiré de l'article 6 § 2, qu'il convient de déclarer recevable, repose sur les mêmes faits et que, dès lors, aucune question distincte ne se pose au regard de l'article 6 § 2 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
53. Les requérants n'ont pas formulé de demande au titre de la satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de leur octroyer une satisfaction équitable (voir, notamment, Brasilier, précité, § 46).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;
3. Dit qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 6 § 2 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juin 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NAISMITH Boštjan M. ZUPANCIC
Greffier adjoint